Vu à la télé !

L'enseignement télévisuel

Tournage au Cnam

Une histoire pour laquelle, comme pour celle d’Internet d’ailleurs, le Conservatoire a joué un rôle tout autant d'innovateur que d'acteur pionnier.

Depuis le début du confinement, il y a plusieurs semaines déjà, de nombreuses expressions ont gagné en popularité au-delà des habituels cercles d’initiés. Pour l’éducation nationale, l’enseignement supérieur et la formation professionnelle, ce sont indiscutablement les « continuité pédagogique », « cours en ligne » ou « formation ouverte et à distance » qui occupent le devant de la scène médiatique et, pour nombre de parents, de professeurs, d’élèves, d’ingénieurs pédagogiques... une bonne partie de leur quotidien de confinés. Pourtant, derrière cette notoriété soudaine et un peu forcée, se cache une longue histoire qui débute bien avant la crise actuelle, et même l’apparition de la Toile.

Plateau audiovisuel

Maquette du plateau audiovisuel installé au Conservatoire (Photothèque du Cnam)

1963. Si les mois d’avril et de mai sont avant tout marqués par la grande grève des mineurs, dont l’activité est de plus en plus menacée, l’été sera en France beaucoup plus propice au divertissement avec la nuit de la célèbre émission de radio Salut les copains, sur une place de la Nation reprenant en cœur les chansons de Sylvie Vartan ou des Chats sauvages. Le mois d’octobre, lui, sera marqué par le décès, à un jour d'intervalle, de Jean Cocteau puis d'Édith Piaf. Arrivent ensuite novembre et les premiers cours à distance du Conservatoire ! Un nouveau format, sorte de dispositif « au cœur des territoires » avant l’heure, né pour proposer à un large public, qui n’a pas forcément accès aux centres d’enseignement ni aux cours, des leçons et des exercices filmés en direct depuis les amphithéâtres de l’établissement.

Tournage TéléCnam

Tournage pour TéléCnam du cours de physique générale d’André Fournier dans l'amphithéâtre Abbé-Grégoire (Dircom Cnam / Alain Doyère)

Ce sont les cours de mathématiques préparatoires d’Alexis Hocquenghem, de physique générale d’André Fournier et de radioélectricité générale de Michel-Yves Bernard qui ouvriront le bal, selon un dispositif encore rudimentaire : deux, puis trois, caméras en noir et blanc, un faisceau hertzien transmis d’une antenne placée sur le toit de l’église Saint-Martin-des-Champs jusqu’à la tour de Meudon, et une diffusion sur des écrans de télévisions dans huit centres de réception à Argenteuil, Courbevoie, Drancy, Malakoff, Montreuil et Suresnes ainsi que dans le XIIIe arrondissement. Dans ces centres, le nombre d’auditeurs, dûment inscrits et accompagnés par des animateurs jusqu’aux examens qui leur permettront de valider leur année, augmentent rapidement : 448, 741, 923... Surtout, cette première expérience permet de dresser des constats encourageants : « le taux d'assiduité se révèle supérieur dans les centres de réception à ce qu'il est au Conservatoire », la réussite aux examens est meilleure que celle des élèves en amphithéâtre, et « la télévision a eu ici une conséquence heureuse et inattendue, celle d'amener les professeurs à améliorer leur technique pédagogique » notent par exemple les rapports successifs du Conseil de perfectionnement du Conservatoire.

Auditeur

Auditeur suivant un cours télévisé depuis un centre de regroupement (Photothèque du Cnam)

Face à ce succès, l’offre de formation proposée s'étoffera progressivement comme le nombre de centres de réception, certains organisés par de grandes entreprises directement dans leurs locaux à l'image de Bull, principale société française spécialisée dans l’informatique professionnelle. Puis, en 1966, pour faire face à une demande toujours croissante et toucher le plus grand nombre de personnes possible, la décision est prise de retransmettre directement sur la deuxième chaîne de télévision trois cours : radioélectricité générale de Michel-Yves Bernard et mathématiques générales d'Alexis Hocquenghem, en alternance les soirs de semaine à 18h30, ainsi que des exercices dirigés en mathématiques le samedi. C’est ainsi la première expérience mondiale, quelques années avant la célèbre Open University, de télédiffusion en direct d’enseignement !

Cours TéléCnam

Extrait d’un cours sur TéléCnam (Photothèque du Cnam)

Jusqu'en 1978, pour suivre un enseignement du Conservatoire il suffira donc de s'installer confortablement dans son canapé et d'allumer sa télévision à 18h30, même si certaines séances seront « différées voire supprimées pour permettre la retransmission de matchs de football » ou des Jeux olympiques de Grenoble. Pour celles et ceux qui souhaiteraient valider leur année, ils pourront rejoindre un groupe TéléCnam au sein duquel un assistant les accompagnera, exercices à l’appui. Et, ils furent nombreux : le cours d’informatique de Paul Namian sera par exemple suivi durant l’année universitaire 1968-1969 par plus de 10 000 personnes, nécessitera l’expédition de 5 000 polycopiés, et 250 entreprises organiseront en interne des centres de réception pour assurer la formation de leur personnel à ce qui permettra bientôt de nouvelles avancées en matière de formation à distance. Mais ceci est une autre histoire où, là encore, le Conservatoire jouera un rôle pionnier comme dans le développement de la diffusion de la culture scientifique et technique à la télévision.

Ariane Batou-To Van & Yvan Boude

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